Hautes-Alpes (05)

 PUITS DES BANS

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Le puits des Bans
(alt. 1120 m, Saint-Disdier, Hautes-Alpes)

Le puits des Bans est une source miraculeuse connue depuis des lustres, mais pour le spéléologue c’est une émergence temporaire pénétrable qui déborde de temps en temps. Les deux aspects, la fontaine merveilleuse et le phénomène karstique, sont discutés.

I - Les explorations spéléologiques

Bien qu’É.-A. Martel ait reconnu les 25 premiers mètres de la cavité (Compte Rendu de l’Académie des Sciences, 1897), l’histoire spéléologique du puits des Bans ne commence qu’à l’automne 1946 lorsque J. Marty, garde des Eaux et forêts à Saint-Étienne-en-Dévoluy, décide, équipé d’un scaphandre autonome, de forcer seul le siphon (Les Rapports Bourgin, 1947).

Ailleurs, la tentative aurait échoué, mais par chance le siphon était peu profond, 2 m seulement, et relativement court, 8 mètres. Marty « sort » le siphon et reconnaît la galerie exondée sur 60 m jusqu’à un nouveau lac. Là, s’arrête la première incursion post-siphon dans le puits des Bans.

Devant un tel succès, les tentatives de pompages purent commencer. Le premier siphonnage se solda par un échec, le deuxième qui eut lieu le 13 octobre 1947 fut un semi-échec, mais laissa quelques espoirs aux intervenants. En effet, grâce à une pompe à main et après quelques essais infructueux, la voûte mouillante était désamorcée d’une dizaine de centimètres et permettait à l’air de circuler (Les Rapports Bourgin, 1947).

Mais l’opération d’envergure devait avoir lieu au printemps 1948 avec le concours de différents partenaires dont ÉdF qui tira une ligne électrique depuis la route (le poteau en bois est toujours debout à l’entrée du puits).

Coupe de la zone d'entrée du puits des Bans (d'après Bourgin, 1948)Le pompage permit de transformer le siphon en un plan d’eau d’une revanche d’un mètre, suffisamment haute pour passer en bateau.

Dans l’euphorie générale, l’exploration fut poursuivie jusqu’à la profondeur de -138 m, au niveau d’un lac temporaire engendré par la mise en charge partielle de la cavité (Parein & Courbon, 1991).

Après cette mémorable expédition, les écrits font défaut pour établir une chronologie précise des explorations.

Le siphon de -207 m, terminus de la galerie des Lacs, est pompé en 1964 par les groupes spéléologiques de Versailles et de Gap qui explorent 310 m de galeries supplémentaires jusqu’à un autre siphon (-217 m). Ce nouveau siphon n’est autre qu’un puits noyé plongé en 1970 par M. Lopez et A. Matteoli de Toulon jusqu’à -15 m environ, lesquels s’arrêtèrent dans une galerie noyée.

En 1981, F. Poggia, assisté par des spéléologues de Nîmes et Briançon, poursuit l’exploration sur 160 m et atteint la profondeur de -57 m (Parein & Courbon, 1991) sous la surface du siphon.

II - Etymologie et légendes

Aucune forme ancienne du puits du Bans n'est connue, on est donc réduit à énoncer toutes les hypothèses étymologiques plus ou moins vraisemblables. Il en est une nouvelle qui à l'avantage de faire référence aux caractéristiques de la cavité.

1) Les hypothèses étymologiques

On a dit que l’origine du nom du puits des Bans[1] ou puits de Saint-Disdier était :
a) les bans de mariage par référence à une légende judéo-chrétienne.
b) les bans au sens de tribunaux et territoires sur lesquels les seigneurs avaient juridiction[2].
c) les bancs en raison de la forme tabulaire du rocher qui domine le puits[3].
d) les bancs du rocher, au sens de couche géologique, qui surplombent le puits.
e) le bruit (« bang ») perceptible dans le puits juste avant sa mise en charge.
A travers ces hypothèses, on perçoit facilement la signature de l’Église (a), de l'historien (b), du géographe (c & d) et celle, plus moderne, du spéléologue (e), mais pas vraiment celle du linguiste.

En effet, le provençal bans, bains (cf. le village de Curbans[4] situé à 15 km au sud de Gap), n’a jamais été évoqué, alors que le spéléologue sait pourtant que l’on s’y trempe les fesses de gré ou de force...

Bien sûr, le nom du puits des Bans date d’avant la venue des spéléologues, il faut donc imaginer que d’autres personnes se soient introduites dans le puits avant leur arrivée.

Ici comme ailleurs, les spéléologues ne sont pas les premiers à pénétrer dans les cavernes : l’« exploration du Maître » sur les 25 premiers mètres n’est donc pas une première. Alors, comment peut-on ne pas remarquer le premier bassin ou lac profond d’environ 50 à 70 cm qui barre la galerie à 10 m de l’entrée ? Si le spéléologue fait tout pour éviter de se tremper les pieds dans cette « pataugeoire » (1er lac), il n’en a pas toujours été ainsi dans le passé.

En effet, il est évident que les débordements[5] du puits des Bans ont, de tous temps, intrigué les populations locales. Il n’est pas choquant qu’on ait attribué à ses eaux des vertus miraculeuses. C’est du moins ce que dit une légende rapportée par Juvenis (vers 1700) dans son Histoire du Dauphiné :

« Les eaux du puys sont salées en quelque manière et chaudes en toutes saisons, si bien que les enfants du lieu s'y baignent au cour de l'hyver »

Le puits des Bans ne serait autre qu’un « puits des bains ».

2) Des légendes corrompues

Le texte le plus ancien est celui de Juvenis écrit vers 1700 dans son Histoire du Dauphiné, mais il a été maintes fois retranscrit, voici l'une des versions :

« Le puits des Bans – ou puits de Saint-Disdier – est creusé dans une caverne, dont les eaux sont salées et chaudes[6], si bien que les enfants du village vont s’y baigner au coeur de l’hiver. La caverne pénètre si avant dans le rocher qu’il a été impossible d’en découvrir l’étendue, car les flammes et les torches que l’on y porte sont éteintes par le vent qui sort du puits sans discontinuer[7].

Elle est peuplée de crapauds, de serpents et autres reptiles que la chaleur du rocher, celle des eaux et la corruption y engendrent.

On dit qu’aux temps anciens l’on s’y rendait en procession toutes les années, et que la station avait lieu dans l’église de Saint-Jacques de Malemort, paroisse dépendant alors de Saint-André-de-Gap.

L’on ajoute qu’un jeune homme s’étant abandonné avec une femme dans le sein de la caverne, cet acte de débauche fit cesser la dévotion et perdre aux eaux de la fontaine la vertu dont elles étaient douées, de guérir un grand nombre de malades. Mais les habitants des environs persistent à croire qu’elles sont encore un remède efficace contre la gale et quelques autres maux.

Le puits déborde parfois ; l’on est certain alors que la peste, la guerre et toutes les calamités publiques sont une suite inévitable de ses débordements, ainsi que le remarquèrent les habitants en 1540, 1589, 1629, 1630, 1631, 1643, 1661, 1662 et 1673[8]. »

Carte simplifiée de la zone nord  du DévoluyOn devine les efforts déployés par l’Église pour mettre fin aux superstitions du puits des Bans aux eaux duquel les habitants prêtaient des vertus curatives. Il y a tout lieu de croire que le puits des Bans était la demeure d’une divinité topique que l’Église a expulsée de la mémoire des habitants en construisant une légende peuplée de crapauds et de reptiles, les animaux du pêché sexuel, et en faisant du lieu le siège d’un pêché de chair. Après avoir christianisé le puits en organisant des processions, elle l’a définitivement maudit avec une légende de son cru.

Située plus en aval de la Souloise, la Mère Église, distante de 2 km seulement du puits des Bans, est le plus vieux bâtiment des Hautes-Alpes encore debout. Les évangélisateurs de Saint-Disdier auraient-ils pu tolérer la présence d’un culte païen si près du leur ?

A moins qu’eux-mêmes ne soient venus s’installer à proximité du puits de Bans pour mieux en contrôler la dévotion…

III - Les appareils de mesure des mises en charge

1) La cloche du « Banographe »[9]

Le premier à tenter de mesurer les mises en charge du puits des Bans est l’ingénieur J. L. Bonhomme de Grenoble. Il conçoit un engin relativement lourd, la « cloche », qu’il fait installé en 1976 par le Spéléo Club Alpin de Gap à la cote -207 m. La « cloche » est acheminée au moyen d’une poutrelle de bois portée par deux hommes. Tout aussi difficile est l’installation des cables et des fils qui courent dans toute la cavité, car le relevé des données s’effectue à l’extérieur.

2) Le Luirographe[10]

Le 17 juillet 2000, un Luirographe est installé derrière le siphon de la galerie des Lacs par Philippe Bertochio et Christian Kupiec du Spéléo club Alpin de Gap. L’engin est destiné à enregistrer les variations du niveau de l’eau toutes les 8 minutes (?). S’il a été placé en 2000 à 1 m au-dessus du niveau de l’eau, il a été retiré le 8 juillet 2001 sous 7 mètres d’eau ! Les variations de niveau sont donc bien une réalité qui se matérialise par une courbe, restitution graphique de toutes les informations enregistrées pendant une année par la carte-mémoire du Luirographe.

Le dépouillement des informations, corrélées avec les données météorologiques locales, va permettre d’en savoir plus sur le fonctionnement de ce puits qui a débordé deux fois durant l’immersion du Luirographe et dont les pics son bien visibles sur le graphique.


[1] Avant d’être un puits au sens spéléologique, cavité verticale, le puits des Bans est d’abord une source, temporaire certes, mais il aurait été étonnant que ce phénomène naturel n’ait pas été affublé d’un nom en rapport avec l’eau, tout comme les sources des Gillardes qui portent un nom d’origine gauloise *galia « force » par référence à la puissance des sources.

[2] Les toponymes bois des Bans correspondraient à des bois mis en défens, dont l'exploitation était réglementée, voire interdite. On connait un bois des Bans à Cervières (Hautes-Alpes) qui aurait pu jouer un rôle protecteur contre les laves torrentielles et les avalanches (selon J.-L. Flandin), ou encore, plus proche du Dévoluy, le bois des Bans situé dans la commune de Pellafol (Isère).

[3] La forme tabulaire du sommet des Bans dans le Massif des Écrins évoquerait celle d'un banc (selon J.-L. Flandin).

[4] La forme ancienne de Curbans (Alpes-de-Haute-Provence) est « de Curbanno, 1193 » (in Dauzat & Rostaing, 1983, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, p. 235), mais l’étymologie reste obscure.
Dans son Dictionnaire historique et topographique de la Provence ancienne et moderne, E. Garcin (1835) est plus clair et indique que Curbans dérive du latin curatio, cure, et du provençal bans, bains, à cause d’une source d’eau minérale purgative qu’on trouve dans le territoire de la commune.

[5] A noter le vocabulaire spécifique attaché à chaque phénomène de crue : le puits des Bans déborde, la Luire crève ou perce et la fontaine de Vaucluse verse ou déverse.

[6] Cette affirmation est bien sûr totalement fausse, mais l’auteur tente seulement de justifier la pratique des bains qu’il rapporte.

[7] Le vent est une vue de l’esprit, car il n’existe pas de courant d’air au puits des Bans. L’auteur du texte est influencé par les savants de son époque qui veulent voir dans les cavernes la « source des vents », une vision héritée de l’Antiquité et qui avait retrouvée une certaine vigueur aux XVI et XVIIe siècles.

[8] Les dates indiquées correspondent aux années de calamités et non aux dates de débordements du puits, qui déborde en général tous les ans.

[9] Le terme est plus euphonique que « bansographe » et se rapproche davantage de l’étymologie proposée le latin vulgaire *baneum.

[10] Du nom de l’émergence temporaire de la Luire, dans le Vercors, où le concept de l’engin a été développé pendant plusieurs années par Laurent Morel du G. S. Valence.